« L’homme moderne est complètement buggé par l’idée d’un temps séquentiel qui irait uniquement dans un sens, du passé vers le futur. »
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Les avancées de la science, à la croisée de la physique quantique et de la botanique, bouleversent notre conception linéaire et séquentielle du temps selon laquelle il s’écoule du passé vers le futur. À rebours de cette conception, le temps serait rétrocausal : dans leur ouvrage « Se Souvenir du futur », l’ethnobotaniste Romuald Leterrier et le journaliste scientifique Jocelin Morisson conjugue à la fois des enseignements ancestraux et notamment chamaniques aux connaissances les plus pointues de la science pour nous démontrer comment, sous la forme de synchronicités, nous pouvons accéder à des informations du futur, nous laissant ainsi la possibilité de le modifier.
Dans votre essai « Se souvenir du futur », vous affirmez que « nos intentions causent des effets dans le futur, qui deviennent la cause d'effets dans le présent ». Dès lors, comment se souvenir d’un futur qui n’a encore jamais été vécu ?Bref, comment peut-on penser ce bug temporel ?
Romuald Leterrier : Est-ce vraiment une question de bug ? Notre conscience a la possibilité comme on le montre dans l’ouvrage de pouvoir faire des aller-retour à travers l’espace-temps. Si bug il y a, il réside dans le fait qu’on a été formaté à avoir une vision linéaire du temps alors qu’on s’aperçoit que la mémoire peut fonctionner dans l’autre sens, c’est-à-dire du futur vers le passé.
Jocelin Morisson : La phrase que vous citez résume la théorie de la double causalité de Philippe Guillemant, physicien qui a rédigé la préface du livre, et qui repose sur l’idée que le futur existe déjà, c’est-à-dire qu’à chaque instant, nous avons un futur sauf qu’il n’est pas densifié, ni matérialisé parce qu’il y a plusieurs futurs qui sont superposés comme dans une expérience de physique quantique. Mais le fait est que ce futur ne se crée pas en temps réel comme le monde ne se crée pas au fur et à mesure ; on a à chaque instant un futur qui existe déjà. Dès lors, on peut par l’intention faire advenir un futur plus ou moins souhaitable pour nous et pour le collectif. Finalement, c’est la conscience qui, par un effort de concentration et une certaine qualité d’âme, fait advenir un futur plutôt qu’un autre.
Selon Nietzche, Einstein et de nombreux physiciens aujourd’hui, « c’est notre avenir qui détermine notre présent ». Remettre en cause la vision d’un futur qui n’existerait pas encore et se placer à contrario dans la perspective d’un futur déjà réalisé, n’est-ce pas postuler d’un bug de notre libre arbitre ? Tout serait déjà là ?
RL : C’est l’inverse ! Nous démontrons justement qu’en recevant les informations du futur, nous récupérons du libre arbitre et une capacité d’action sur son destin car cela nous permet de prendre des décisions en conscience. C’est dans ce sens que c’est très intéressant pour moi d’utiliser cette technique dite de synchronicité, que l’on pourrait comparer à un système GPS qui nous guiderait dans notre vie.
JM : Le futur est susceptible d’envoyer des informations dans le présent sous forme de synchronicités pour nous faire bifurquer par rapport à une ligne temporelle sur laquelle on se trouverait et qui n’est pas la bonne ligne pour nous. On a un chemin de vie idéal, ce que les traditions anciennes appellent celui de l’âme, et que nous appelons de notre côté le « soi », à savoir l’être pleinement réalisé. Le libre arbitre est donc relatif dans la mesure où ce chemin de vie agit comme un attracteur qui nous attire vers une espèce de futur idéal.
Nous aurions ce libre arbitre à partir du moment où l’on maîtriserait cette méthode de synchronicité. Ne pas la maîtriser nous rendrait donc aveugle à notre avenir ?
JM : La liberté qu’on a est relative et non absolue ; on a le choix de se conformer ou pas au chemin de vie idéal qu’on a. Il y a pour moi une notion de réalisation de la personne qui passe par suivre cette voie qui est l’intégration du « soi ».
RL : Pas du tout. On a déjà du libre arbitre par nature. Je me bats contre certaines doctrines spirituelles qui prônent le pré-déterminisme ; j’essaie de montrer aux gens qu’on est libre car on a cette possibilité de faire des choix. La méthode des synchronicités que l’on a mis en place au niveau rétro-cognitif fonctionne. On a tous la capacité de se souvenir et de s’émouvoir ; on a donc tous la possibilité de se souvenir du futur. Quand je parle de chemin ou d’objectif de vie idéal, je ne parle pas du point de vue de l’égo ou du « moi » qui peut être intéressé par la matérialité. Je parle là d’un cheminement idéal du point du vue du « soi », le « soi » étant quelque chose de transcendant : on serait tous reliés à un archétype à la fois unitaire et collectif qui amènerait à un développement de la personnalité parfaitement intégrée au niveau de ses composantes psychiques.
Le phénomène de rétro-causalité sur lequel vous vous basez pour élaborer votre proposition de synchronicité, ne met-il finalement pas en avant un bug mental, un bug de notre pensée telle qu’on l’a toujours conçue ?
RL : On a été habitué à penser de façon linéaire, avec l’idée d’un temps séquentiel qui irait uniquement dans un sens, du passé vers le futur. L’homme moderne est complètement buggé par cela. Des traditions anciennes issues des peuples premiers comme les aborigènes d’Australie ou les Indiens d’Amazonie avec lesquels j’ai travaillé, n’ont pas cette conception du temps linéaire. Pour eux, qui vivent symbiotiquement dans et avec la nature, le temps ne peut être que circulaire et naturellement cyclique. Ce faisant, ils ont intégré le fait qu’ils ne subissaient pas le temps mais qu’ils pouvaient en être des acteurs. Grâce à cette conscience créative du temps qui fonctionne par boucle temporelle, ils ont réussi à développer toute la base de leurs pratiques spirituelles chamaniques.
JM : Effectivement, cela révèle un bug du mental qui se croit immergé dans un temps linéaire qui s’écoulerait dans le sens de la flèche du temps. Le mental se nourrit de l’illusion qu’on serait uniquement un corps physique et ça c’est le premier bug. Sur la notion de temps, il est utile de rappeler la distinction faite par les philosophes grecs entre le temps ordinaire appelé Chronos, le temps cyclique dont on vient de parler baptisé Aiôn et la trouée dans le temps dénommée Kairos qui représente le bon moment pour agir, la conscience en dehors du temps.
Pour accéder à l’expérience de cet espace-temps flexible vous prônez l’abandon de nos conditionnements mentaux, croyances, jugements, égo : autrement dit, l’Homme ne pourrait pas accéder à cette expérience de manière immédiate et naturelle ?
JM : Pour moi, il y a un déconditionnement du mental à opérer pour privilégier l’intuition et l’état d’esprit qu’on a quand on fait par exemple de la méditation, moment pendant lequel on met le mental au repos. Cela ne signifie pas qu’on supprime toute pensée mais qu’on est l’observateur de ses propres pensées. Je pense que, pour poser les meilleures intentions, celles-ci doivent être nourries par l’intuition, par ce qui en nous ne relève plus de la raison. Cet état d’attention flottante impose en effet de mettre en sommeil notre partie égotique et mentale qui a des aspirations de réussite et est relié à l’ordre matérialiste.
En liant des savoirs ancestraux et spirituels en particulier chamaniques et des savoirs scientifiques notamment physiques, vous apportez un élément de réponse à un bug jusqu’ici irrésolu pour le plus grand nombre qui est l’alliance entre le rationnel et le spirituel. Avec cette approche, la conscience n’est plus un bug pour la science ? Elle n’en constitue plus le point aveugle ?
RL : Les peuples premiers ont eu l’intuition de choses qui sont aujourd’hui découvertes par les moyens de la science. Ils ont intuitivement saisi les fonctionnements de l’univers, non seulement ses lois physiques mais aussi biologiques, et les ont exprimés d’une façon mythologique et abstraite par le chamanisme et des rituels. Il y a donc une vraie convergence entre les sciences contemporaines de pointe et les savoirs traditionnels millénaires.
Est-ce qu’on peut appliquer votre pensée, non pas seulement à l’échelle individuelle, mais aussi collective, celle des peuples et des nations ? Peut-on postuler que si, demain, les dirigeants politiques s’exerçaient à la rétrocognition, ils mettraient en place un futur plus désirable ?
RL : On s’est rendu compte dans nos travaux de recherches que la plupart des gens sont formatés pour l’avenir avec une vision d’un futur plutôt catastrophique, voire apocalyptique. C’est une sorte de voile sociétal global traumatique, qui nous empêche de dépasser nos problèmes parce qu’on est formaté par ce bug.
JM : Parce qu’ils sont immergés par définition dans l’ego, le pouvoir et la matérialité, il est compliqué pour les leaders d’aujourd’hui de pratiquer la rétrocognition pour faire advenir un futur souhaitable. La démarche doit partir de la base : ce sont les individus de la communauté humaine au sens large qui vont faire élire des individus qui partageront cette vision-là.
Terminons cet entretien par nos deux questions de conclusion traditionnelles.Primo, quelle est votre définition personnelle du bug ?
RL : Le bug pour moi est une opportunité : c’est voir un problème, un concept, une réalité sous un autre angle.
JM : Je pense à un bug dans la matrice, c’est-à-dire l’idée que nos connaissances seraient instables et fausseraient la conception de la réalité, de l’espace-temps, de la conscience. Il y a un bug dans le fait que la vision matérialiste n’est plus opératoire aujourd’hui, elle a atteint sa limite.
Et dans votre domaine respectif, quel est le plus grand bug ?
RL : C’est la réalité qui est un bug global, elle-même liée à notre conception matérialiste, qui est un bug complet du réel.
JM : Le plus grand bug, c’est de croire que nous sommes des êtres faits de matière, que nous sommes simplement des corps desquels émergerait la conscience.